LEÏLA JOLIN-DAHEL UNPOINTCINQ
Il n’y a pas d’âge pour apprendre le vélo
Des centaines d’adultes contactent chaque année l’organisme Caravane, la grande pédalée dans le but d’apprendre à faire du vélo. Portrait de Papa Amadou Touré, instigateur de cette mission aux nombreux avantages pour la santé, l’orgueil et le climat.
« Je rêve de faire du vélo. » Cette phrase, Papa l’entend tous les jours. Depuis 2009, il enseigne à rouler sur deux roues aux Montréalais et Montréalaises qui, pour une raison ou une autre, n’ont jamais pu l’apprendre pendant leur enfance.
En plus de réaliser leur rêve, les apprentis cyclistes souhaitent briser la honte. « On se lève un matin, on a 40 ans. On aperçoit des pistes cyclables qui poussent partout à Montréal. On remarque des nuées de vélos. Puis on rentre à la maison et on se dit “Je ne sais pas en faire, qu’est-ce qui se passe avec moi?” » explique le Montréalais originaire du Sénégal.
Arrivé au Québec en 2003 à l’âge de 29 ans, Papa a eu l’idée d’ouvrir une école pour transmettre les bienfaits du cyclisme aux communautés culturelles quand il circulait lui-même à deux roues dans la métropole. Il se souvient que, lorsqu’il travaillait comme coursier à vélo, il ne voyait jamais de personnes issues des minorités visibles à bicyclette. « Je livrais du courrier à vélo et j’étais le seul Noir à Montréal qui en faisait », raconte-t-il. C’est ainsi qu’il a créé le programme d’enseignement À vélo, j’arrive au Québec!, qui est chapeauté par son organisme et destiné à ceux qui n’ont jamais pédalé.
Sa clientèle est composée à 80 % de femmes issues des communautés maghrébines. Plusieurs facteurs expliquent pourquoi ses élèves adultes ignorent comment enfourcher une bicyclette. Au Sénégal, par exemple, ce sont les moins nantis qui pédalent. Et les personnes qui immigrent au Québec proviennent généralement de milieux plus aisés. « Souvent, quand tu as une auto au Sénégal et que tu viens ici pour avoir une meilleure vie, cela signifie avoir une plus grosse auto », observe-t-il. « Et les femmes, elles ne font pas de vélo, parce qu’elles sont censées rester à la maison pour faire des travaux ménagers. »
Surmonter la peur
Tenir en équilibre sur deux roues peut sembler impossible à ceux et celles qui ne l’ont jamais essayé. « Le vélo n’est pas difficile, c’est combattre la peur de tomber qui l’est », explique Papa.
En mai dernier, Samira, qui a grandi en Algérie, a appris à se déplacer sur deux roues après avoir essayé d’y arriver avec son conjoint – et d’avoir fait une chute. Malgré la peur de se blesser, elle a repris confiance en elle grâce aux enseignements de Papa. « On se concentre et, petit à petit, ça vient », raconte la femme de 43 ans. Elle se souvient que, dans son pays natal, sa famille ne possédait pas de bicyclette. « Dans mon univers, le vélo n’existait pas! » s’exclame-t-elle.
Narjis a également bravé sa peur ce printemps. La jeune femme de 25 ans, qui a vécu en France avant de venir au Québec, craignait surtout le jugement des autres. « Qu’est-ce que les gens vont penser si je ne pédale pas bien, si je ne vais pas dans le bon sens sur la piste cyclable? » illustre-t-elle.
Maintenant, quand je veux aller m’acheter un café dans le Mile-End, en 20 minutes, je suis déjà là-bas. Avant, ça me prenait une heure et demie en bus
Narjis, 25 ans
Les deux élèves ont appris les rudiments du cyclisme en quelques heures. « Un adulte qui n’a jamais fait de vélo, qui a peur de tomber, qui a honte de dire qu’il ne sait pas faire de vélo, en cinq heures, il est sur une piste cyclable », avance l’enseignant. Il montre aussi à ses élèves comment effectuer des réparations de base sur leur bicyclette. À ceux qui n’en possèdent pas, l’école peut en vendre une de seconde main à prix abordable. « Pour quelqu’un dont ce n’était pas la culture, dépenser 500 $ pour un vélo, on oublie ça », explique Papa.
Des avantages pour tous
À ce jour, Papa a transmis sa passion à plus de 2300 élèves! Chaque année, entre 100 et 150 apprentis cyclistes s’inscrivent à son cours qui coûte 315 $, taxes comprises, prêt d’un vélo et d’un casque inclus. « Mais il y a autant de personnes qui ne peuvent pas le recevoir parce qu’elles ne peuvent pas se le payer », précise-t-il.
« Le vélo offre plusieurs bienfaits », souligne-t-il au sujet de ce qui est son seul moyen de transport été comme hiver. Enseigner, « c’est mon travail, mais c’est aussi tout un projet de société. Oui, il y a la couche d’ozone, les gaz à effet de serre, mais il y a d’abord mes poumons! » affirme Papa, qui dit mieux dormir et mieux manger depuis qu’il se déplace sur deux roues. À son avis, le vélo règle beaucoup de problèmes qui sont d’actualité. Et pour ses élèves, c’est aussi une façon de réussir leur intégration sociale au Québec, pense-t-il.
Aujourd’hui, Samira pédale pour se faire plaisir. « Je ne vais pas jusqu’à faire les courses à vélo, je n’en suis pas encore à cette étape », concède-t-elle en riant.
De son côté, Narjis voit dorénavant le cyclisme comme un bon moyen de gagner du temps dans ses déplacements. « Maintenant, quand je veux aller m’acheter un café dans le Mile-End, en 20 minutes, je suis déjà là-bas. Avant, ça me prenait une heure et demie en bus », évalue-t-elle. « Quel que soit l’âge, il n’est jamais trop tard pour apprendre, ça, c’est sûr et certain. »
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