RIMA ELKOURI LA PRESSE
«Fais-tu du vélo?» C’est la première question que m’a posée Papa Amadou Touré. Question fondamentale pour lui. Et pour cause. Le vélo a changé la vie de cet immigrant. D’un échec est né un rêve.
Originaire de Dakar, au Sénégal, Papa Amadou a déposé sa valise pour la première fois à Montréal en 2003. Diplômé en médecine, il rêvait de faire de la neurochirurgie. Comme bien d’autres avant lui, il raconte s’être heurté à un mur, incapable de faire reconnaître ses diplômes. Pour gagner sa vie, il a dû se résigner à exercer différents petits boulots. Plongeur, exterminateur, courrier à vélo…
C’est en sillonnant Montréal à vélo pour y livrer du courrier, été comme hiver, qu’il s’est rendu compte d’une chose: il était bien souvent le seul Noir à bicyclette. Dans les quartiers à forte concentration immigrante, que ce soit Côte-des-Neiges ou Parc-Extension, rares étaient les immigrés comme lui qui circulaient à vélo.
Qu’ils soient d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, les gens arrivent ici avec un certain rêve américain en tête, a-t-il remarqué. Ils veulent réussir, ça va de soi. Et qui dit réussite dit très souvent grosse voiture. L’image est bien ancrée dans les esprits. Pour montrer à leurs proches demeurés au pays la preuve de leur succès, bien des gens envoient une photo de leur voiture, observe-t-il. Il ne leur viendrait pas à l’esprit d’envoyer une photo de leur vélo. «La réussite économique, ce n’est pas le vélo!»
Pourquoi ne faites-vous pas de vélo? Papa Amadou a posé la question à des Montréalais venus d’ailleurs, convaincu que l’avenir du vélo passe aussi par l’immigration. Réponse toute simple le plus souvent obtenue avec un sourire gêné: «Parce que je ne sais pas pédaler!»
L’immigrant de 37 ans a donc eu la très bonne idée de mettre sur pied un vélo-école ambulant pour adultes. Il y a bien des auto-écoles? C’est ainsi qu’est né Caravane (velocaravane.org). Un projet qui n’a pas que des vertus utilitaires. Papa Amadou est convaincu, et il n’a pas tort, que le vélo n’est pas qu’un moyen de transport. C’est aussi une façon de s’intégrer, de s’approprier la ville, de l’aimer, de participer à son mouvement. «Les plus belles rues à Montréal, aucun autobus n’y passe.»
En plus d’enseigner à des immigrants à pédaler, Papa Amadou donne des cours de mécanique vélo et organise des sorties à vélo à Montréal et dans les environs. Il fait aussi la collecte de vieux vélos qu’il retape et vend à prix abordable. Il a fixé à 70$ le prix plafond pour vendre ces vélos, histoire de s’assurer que ce moyen de transport ne coûte pas plus cher qu’une carte mensuelle de transport en commun.
Sa cliente type est une femme du Maghreb de plus de 35 ans. L’une d’entre elles l’a déjà appelé en cachette pour suivre des cours. Elle voulait faire la surprise à son mari québécois qui avait essayé en vain de lui apprendre à pédaler. Une autre était si déterminée à apprendre qu’elle est allée s’informer chez Canadian Tire s’il existe des vélos à quatre roues pour adultes…
Mais la meilleure façon d’apprendre, vous dira Papa Amadou, ce n’est pas de mettre des petites roues à l’arrière. Il faut d’abord apprendre l’équilibre. Le mieux, c’est d’apprendre sans pédales. Une fois l’équilibre maîtrisé, on n’y pense plus. C’est alors le moment d’apprendre à pédaler. C’est un peu comme immigrer, finalement. Retrouver son équilibre. Pédaler. Et finir par aimer ça.
En plus de son projet montréalais, Papa Amadou a un rêve africain, fondé sur cette même idée du vélo comme outil de rencontre: organiser un grand voyage en Afrique réunissant des cyclistes des quatre coins du monde qui sillonneraient 45 pays en quatre ans de pédalée. Un projet fou? Oui, il l’admet. «Mais j’ai vu au Québec des gens qui ont eu des idées folles et qui les ont mises sur pied!»
Pour Papa Amadou, malgré l’amertume, malgré les problèmes d’intégration, le Québec reste un lieu où l’on a encore la possibilité de rêver, de se réinventer.
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